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Suite
à l'anathème lancé à Adam lorsqu'il fut chassé de
l'Eden : "Tu
gagneras ton pain à la ' sueur' de ton front ",
les Hommes ont travaillé. Ils ont même beaucoup travaillé.
Trop peut-être, car depuis quelques temps déjà, du
Travail il y en a de moins en moins. Des machines de plus en
plus sophistiquées travaillent pour lui ! C'est ainsi
qu'aujourd'hui, les Hommes peuvent travailler, moins
longtemps, moins dur, et produire beaucoup plus et mieux.
Malheureusement, les gouvernants des Pays industrialisés
n'ont pas compris le sens de cette évolution bénéfique
pour l'Humanité.
C'est la raison pour laquelle, les politiques, le Patronat
et les businessmans, tous ces 'suceurs de sueur ' qui ne
jurent que par le Travail qui les enrichit , ne parlent que
d'entreprises, de profits, de croissance et de productivité.
Ils continuent de ne conjuguer que le verbe 'Avoir',
alors que le monde salarié veut de plus en plus conjuguer
le verbe 'Etre'.
A présent que par tous nos progrès techniques, les
navettes d'Aristote marchent toutes seules, pourquoi
l'humanité connaîtrait-elle encore l'esclavage ? Pourquoi
ne profiterait-elle pas de tous ces progrès pour travailler
et vivre, d'une façon plus intelligente, plus sereine et
donc, plus 'conviviale' ! |
Malheureusement,
par les ambitions de plus en plus insatiables d'une minorité de
suceurs de richesses, au lieu d'entrer dans l'ère 'Post-Industrielle',
l'ère du Bonheur, nous pataugeons toujours dans une affreuse mélasse
'Hyper-Industrielle' qui fait le malheur de l'Humanité !
Le Travail n'est plus un Mythe
Le travail aujourd'hui n'est plus la panacée qui, les siècles
passés, tout en permettant aux Hommes de gagner leur pain était
bien souvent aussi leur raison d'être et l'accomplissement de toute
une vie. Il fut des temps en effet, où l'Homme mettait toutes ses
facultés, son amour et sa fierté dans le travail qu'il réalisait
et le valorisait. Mais à présent une telle image paraît
excessive. La Taylorisation et l'automatisation, en générant le
travail en miettes ont déstructuré ses valeurs morales et son
concept même. De plus, nos immenses progrès technologiques réduisent
chaque jour davantage, le travail à sa portion congrue.
Et c'est tant mieux ! Car autrement, à quoi auraient bien pu servir
les immenses efforts et les douloureux sacrifices réalisés par nos
aïeux depuis l'aube des temps ? A quoi auraient servi les durs
combats menés par de millions d'Hommes et de Femmes pour améliorer
la condition ouvrière ? A quoi auraient servi toutes les recherches
et les inventions de tous les techniciens et
ingénieurs du Monde, pour faciliter et rendre moins pénible
la tâche des Travailleurs, si nous devions encore à présent,
travailler 40 Heures par semaine ? Sinon plus, comme le voudraient
tous les 'profiteurs de sueur'. Qu'ils le veuillent ou non, la réduction
progressive du temps de travail en fonction des progrès
technologiques est inscrite dans l'évolution de l'Humanité!
Et lorsque dans deux ou trois décennies, le Travail sera réduit à
quelques 25 H. par semaine, il ne sera considéré que comme un "Devoir
Civique", que chaque Citoyen valide devra effectuer, comme
un dû, envers la Collectivité dans laquelle il vit ! Les
Hommes alors, s'éclateront dans la Société où ils trouveront
toutes les activités qu'ils désireront pour obtenir des réponses
à leurs besoins d'Etre et d'épanouissement de leur personnalité.
Ce sera le temps de la 'convivialité'', le temps de la symbiose harmonieuse du Travail et
de la Vie, du matériel et de l'immatériel.
Le "Dynamisme
Convivial"
Il y a trente ans déjà, le sociologue Ivan Illich cité en
exergue, a été l'un des premiers à opposer la 'convivialité' à
la productivité industrielle. Citons sa définition :
" J'appelle ' Société conviviale' une Société où la
machine est au service de la personne intégrée
à la collectivité et non au service d'un corps de
spécialistes." Aujourd'hui
nous dirions, d'affairistes !
Toutefois n'ayons pas la même crainte que lui pour ce qu'il appelle
la méga-machine, car le progrès technique peut tout aussi bien
asservir l'Homme, que le libérer. En effet, par une gestion plus
intelligente cette méga-machine peut convivialiser la vie en
entreprise, mais aussi la vie sociétale, en nous donnant plus de
temps libre pour nous occuper de notre épanouissement individuel et
collectif. Malheureusement, aujourd'hui encore, dés que l'on parle
de temps disponible, on pense repos, loisirs, sinon fainéantise. Ce
jugement est faux, car moins fatigués par le travail, et plus
motivés par des actions choisies, les gens d'à présent
recherchent de plus en plus des "loisirs actifs ":
participations bénévoles à des Associations, développement
culturel, pratique du sport, remises en état de sites, encadrement
des jeunes, etc…
Demain, dans la Société convivialisée, lorsque l'on parlera de
ses activités, il faudra donc distinguer 'Activités
de Travail, Rémunérées' (ATR)
et 'Activités
Choisies, Bénévoles' (ACB). Et c'est de toutes ces actions
gratuites et librement consenties, qu'elles soient destinées au
développement personnel ou destinées à bonifier la Collectivité,
qu'émergera une volonté nouvelle de bien faire : le
"Dynamisme Convivial". Un dynamisme nouveau qui enrichira
autant les Hommes que les Entreprises et la Société.
Convivialiser la Société.
Jusqu'à présent, les sciences humaines n'ont pas évolué aussi
vite que les sciences techniques. Il serait peut-être temps de
freiner quelque peu ces dernières pour accélérer les premières.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit. Emporté par une absurde fuite
en avant technologique, aspiré par une aberrante spirale économique,
en un mot aveuglé par l'emprise du matérialisme, l'Homme n'a plus
le temps de réfléchir à ce qu'il fait ni de voir où il va. Qu'on
le veuille ou non, il nous faut tous œuvrer à l'avènement du
convivialisme avant qu'il ne soit trop tard. Avant le grand chaos
dont parle Illich. Il nous faut, pour répondre à l'intégralité
des besoins humains, nous inspirer de la fameuse trilogie de Platon
: le matériel, l'intellectuel
et le spirituel . Car seule la symbiose de ces trois concepts
peut faire le bonheur de l'humanité. Et seule une Société
convivialiste pourra satisfaire les besoins immatériels nouveaux,
qui n'apparaissent qu'à un certain niveau de civilisation. Niveau déjà
atteint par les Pays occidentaux.
Car aujourd'hui le besoin d'Avoir de certains, étouffe de plus en
plus, le besoin d'Etre de tous les autres ! Les remèdes existent
mais il faut bien sûr qu'ils soient acceptés de tous. Sans entrer
dans les détails mais pour être concret, disons que leur dénominateur
commun est de "Réduire
la pression et la vitesse". Réduire la pression excessive
que ceux qui gagnent, mettent sur ceux qui travaillent ! Aller
toujours plus vite, plus haut, plus loin, ..mais pourquoi ? Et pour
qui ? Nous devons donc inventer un nouvel art de vivre et de
travailler, pour que la Société retrouve sa sérénité et que les
gens prennent le temps de vivre. Et contrairement à ce que l'on
peut penser, la rentabilité des Entreprises n'en sera pas trop
affectée, car même si l'on y travaille moins longtemps, un matériel
plus performant, mais aussi et surtout une motivation bien plus
forte des Salariés, feront que la production sera sensiblement la même.
Convivialiser l'Entreprise
A notre époque, le nouveau management commence enfin à placer
l'Homme au centre de l'Entreprise. Le Pape lui-même dans son
encyclique de 1981, a confirmé cette orientation en disant : "Le travail est pour l'Homme et non pas l'Homme pour le travail. L'Homme
est le sujet du travail, mais pas l'objet. ". C'est ainsi
qu'à présent, toutes les Entreprises, petites ou grandes, qui ne
s'adapteront pas à cette nouvelle philosophie de management de
leurs personnels, seront condamnées à terme. Celles qui n'auront
pas voulu investir dans l'immatériel : la formation, la motivation
et la créativité des Hommes, auront de grandes difficultés pour
atteindre leur seuil de rentabilité et surtout pour le
conserver.
La plus grande découverte faite dans le domaine des ressources
humaines a été de voir, que rendre les gens heureux au travail,
augmentait les performances des Entreprises. La force des
Entreprises convivialistes sera d'optimiser et de valoriser au mieux
les gisements de matière
grise émanant de leurs personnels, générateur de performance,
d'initiatives et de compétitivité. A cette fin, les nouveaux
managers devront oublier quelque peu la rationalité de Descartes et
penser un peu plus à la trilogie de Platon. Les Californiens, ont
une belle formule pour imager les trois ingrédients nécessaires à
toute réussite : " Huile
de coude, jus de crâne et eau bénite."
Mais c'est sur le plan des rémunérations, que toute
Institution convivialiste employant des salariés, devra être
exemplaire ! Car c'est toujours de l'argent, que partent toutes les
injustices, les mécontentements et les conflits sociaux du monde du
travail. La mise en place du "Management Participatif Intégral",
permettra le Partage Equitable des Profits,
entre les Entreprises et les Salariés. Tiens, voilà la vieille
antienne "Capital-Travail"
qui revient diront certains! NON ! C'est bien plus que cela ! Le
convivialisme c'est, répétons-le encore, l'association du "Travail,
de l'Intellect et de l'Esprit"! Angélisme? Utopies ?
Aujourd'hui, oui, mais demain ? Pour les Adultes, oui, mais pas pour
les Jeunes, ni les Anciens!
Aux Jeunes et aux Anciens
d'ouvrir le chemin.
Il faut en effet se rendre à l'évidence, des changements aussi
profonds de notre façon de vivre, ne peuvent pas passer par les
Adultes ! Ils sont bien trop conditionnés, englués et aussi
anesthésiés par le " Système " pour réagir. Leur
horizon de vie, métro-boulot-dodo, plus l'auto, plus la vidéo,
leur sert de credo ! Sans compter la famille, les traites à payer,
la sexualité et le troisième gosse imposé. Prisonniers malgré
eux du ' Système ' dans lequel ils se sont laissés enfermer, les
Adultes aujourd'hui sont incapables de gérer convenablement la
France, ils sont infoutus de faire l'Europe, alors vous
pensez,...pour refaire le Monde !
Devant cette incapacité notoire des 'Adultes-Conso', devenus 'les
Zombies du Marché', nous devons faire appel aux Jeunes qui,
n'étant pas encore entrés dans
le ' Système ', ne sont pas conditionnés et aux Anciens qui
eux, en sont sortis et qui bien souvent ont des idées à proposer.
A cette fin, nous pourrions créer des "Groupes de
Réflexions" qui en associant le dynamisme des Jeunes et
l'expérience des Anciens, devraient efficacement préparer
l'arrivée du convivialisme. Leur tâche serait largement facilitée
par l'ouverture des Jeunes à des valeurs morales aujourd'hui
quasiment disparues chez les Adultes : équité, altruisme,
solidarité, tolérance,… toutes ces vertus cardinales, qui sont
la base même de la Société convivialiste. Ajoutons à cela leur
anticonformisme qui les aidera à modifier ou à supprimer des Lois
devenues obsolètes. Ils ont déjà des points de vue très
différents sur les 'lois du travail' et sur les 'lois du marché'.
Non pas, que les Jeunes ne veulent pas travailler comme on le croit
communément, mais convivialistes avant l'heure, ils veulent "travailler pour vivre et non pas vivre pour travailler "!
Pour eux "le travail est
un moyen et non une fin". On peut imaginer le chemin qui
reste à parcourir pour arriver au convivialisme et entrer dans
l'ère Post-Industrielle. Une transformation aussi importante de
notre art de vivre et de notre volonté d'Etre, ne peut réussir que
si l'on commence très tôt à inculquer à la jeunesse de nouvelles
valeurs et une nouvelle éthique de vie. C'est pour cette raison que
l'apprentissage du convivialisme, c'est à dire du bonheur, devrait
commencer dés l'école maternelle.
En guise de conclusion, disons que la philosophie d'Ivan Illich sur
la convivialité, rejoint beaucoup plus qu'il n'y paraît, celle de
J.Jacques Rousseau sur l'inégalité des Hommes. Inégalités qui
pour lui, naissent dés que les Hommes commencent à travailler et
à commercer entre eux. Et 250 ans après nous en sommes toujours
là ! Le " Convivialisme ", philosophie dont les règles
sont encore à inventer, pourrait avoir pour devise,
celle que nous avions cité pour la première fois en 1985,
à l'Université de PAU :
" Vivre et Travailler à la *Lueur* de
son Front "
Raymond
MONEDI (Juin
2 003)
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